Les trois soirées de ma carte blanche à l’Étrange Festival

J’ai eu une belle rentrée. Riche en défis, en rencontres, en adrénaline. Je le dois beaucoup à l’invitation de Pascale Faure et Frédéric Temps à organiser une carte blanche à l’Étrange Festival. Au début, j’ai flippé : je suis pas assez cinéphile, je n’avais que 15 jours pour proposer une programmation alors que j’étais charrette sur mon prochain podcast sur le chagrin d’amour… et puis assez vite j’ai eu plein d’idées, et d’une soirée de carte blanche, on est passé à trois, avec des invité.e.s. Je vous fais un petit récap.

Soirée 1 : Comment bien filmer le sexe ?

Quand j’ai commencé à réaliser du porno alternatif, féministe, éthique, j’ai beaucoup réfléchi à ce que je voulais donner à voir. J’ai écrit des scénarii avec des scènes intimes hyper scriptées, qui montraient du sexe que je trouvais trop peu représenté… qui était centrées sur le plaisir des femmes, qui sortait de la trinité fellation pénétration éjaculation… J’ai pensé à des plans créatifs qui exprimeraient le plaisir, avec l’haleine des performers qui viendrait flouter l’objectif, ou alors des ralentis filmés à la phantom, la caméra qui s’envole genre out of body experience

Et j’ai moins réfléchi à comment j’allais tourner mes films. Bon, j’y ai réfléchi quand même ! Déjà, j’ai décidé de performer moi-même dans des films porno pour être plus à même de guider les performeurs sur mes films. Mais vivre cette expérience, ne m’a appris que sur moi-même… pas sur mes futurs acteurs actrices ! J’étais bourrée de bonnes intentions… et ça n’a malheureusement pas suffi.

J’ai tourné mon premier court métrage porno, Bitchhiker, en 2016. Je le réalisais ; et je jouais dedans. Mon co-performer m’a dit, un an plus tard, qu’il ne s’était pas senti en sécurité sur le tournage. Qu’il n’avait pas osé me dire (ni à qui que ce soit) sur le moment qu’il ne se sentait pas à l’aise.

Pourquoi cet échec ? Principalement parce que je n’avais pas conscience de ma position de pouvoir en tant que réalisatrice.

Je me voyais comme une réal débutante, et surtout comme une femme, donc je me percevais comme la plus vulnérable. Malgré mon pouvoir de décision évident. Sur le tournage, je partais du principe que les acteurs et les actrices avec qui je bossais étaient « assez grands » pour me dire si quelque chose ne leur convenait pas… Et en même temps je n’étais pas du tout préparée à ce qu’on vienne se mettre en travers du projet que j’avais pour le film !

J’ai lu récemment une ITW dans Télérama de l’actrice Louise Chevillotte, qui réagit à l’enquête sur Philippe Garrel :

"Il y a une chose qu’on n’arrive pas à changer : les artistes ne reconnaissent pas leur pouvoir et la situation d’autorité dans laquelle ils sont. Les rapports entre acteurs et réalisateurs ne sont jamais horizontaux. Je viens de tourner avec un metteur en scène qui nous disait : « Parlez-moi quand vous voulez. Je suis artiste, je ne suis pas votre employeur. » Sauf que si, en fait. Si je viens te dire que je suis en désaccord avec toi et que tu me licencies, c’est moi qui en paye le prix, qui risque de perdre mon intermittence et de prochains rôles… Un réalisateur ne peut plus oublier que les acteurs et actrices restent précaires, et que faire miroiter un rôle en échange de quoi que ce soit, c’est malhonnête. C’est un métier lié au désir de l’autre, où chaque projet peut mener au suivant."

Je n’avais pas bien conscience de ça quand j’ai commencé à réaliser du porno qui se voulait éthique, à 32/33 ans. Ça a été tout un cheminement, que de comprendre que pour bien filmer le sexe, pour que le processus soit respectueux des sensibilités de chacun.e, en temps réel, il fallait être hyper proactive. Il fallait s’enquérir de comment les performers se sentent non stop, leur rappeler qu’on peut arrêter, poser des questions ouvertes (« Comment tu te sens ? » Plutôt que juste « ça va? »), et surtout, SURTOUT, travailler sur moi-même pour que le film passe après le confort des acteurices. La priorité c’est le travail qu’on fait ensemble, la façon dont il se passe, c’est l’équipe qu’on forme. C’est pas le film.

Le film ne justifie pas les moyens. On ne crée rien de « bien » en brutalisant les gens.

Cette question qui me taraude depuis l’échec de mon premier court métrage : « comment bien filmer le sexe ? » elle est posée dans les deux films que je vous propose ce soir. Dans ces deux films, on suit des réals qui filment des scènes de sexe.

Photogramme de Dilemma of Modern Sex Simulation, de Charlotte Bevilacqua

Le premier film est un court métrage : Dilemma of Modern Sex Simulation, de Charlotte Bevilacqua. 

On suit une étudiante en cinéma qui apparaît comme progressiste et engagée, qui veut filmer une scène intime entre deux femmes de la façon la plus respectueuse possible. Elle décide de travailler avec une coordinatrice d’intimité, Paloma Garcia Martens, que j’ai reçue juste après avoir visionné le court, et elle documente leur travail ensemble. Ce court est donc un documentaire que la réalisatrice tourne sur elle-même, dans un processus qui peut s’apparenter à de l’auto-fiction. Malgré (ou à cause de ?) ce cadre rigoureux que la coordinatrice installe, des tensions surviennent. Et les actrices dans tout ça ? Et le dialogue ? Merci à François Marache de Courts Mais Trash pour cette découverte.

Paloma Garcia Martens & moi à l’Étrange Festival, photographiées par Frédéric Ambroisine

Paloma a une pratique de la coordination d’intimité très engagée, elle a une formation bluffante : en coordination d’intimité mais aussi sur les sujets du consentement, de la sexualité, des discriminations, des représentations, de la résolution de conflits, de la santé mentale, du harcèlement…

Photogramme de Il n’y a pas de rapport sexuel, de Raphaël Siboni

Le second film, Il n'y a pas de rapport sexuel, de Raphaël Siboni, est un long-métrage.

Il est composé des milliers d’heures de making-of filmées par l’acteur, réalisateur et producteur de porno HPG. On n’est pas du tout dans le même univers. Là c’est le porno à la chaîne filmé par un mec hétéro d’une cinquantaine d’années qui bosse soit en slip, soit carrément à poil. Et là, la grande force de ce film, c’est le regard a posteriori de la personne qui sélectionne et monte les rushes : l’artiste et cinéaste Raphaël Siboni. C’est lui qui pose la question en creux de comment bien filmer le sexe.

Même si HPG est évidemment central et inévitable, le portrait qui est fait dans ce film, c’est celui des travailleurs et travailleuses du sexe venu.e.s devant sa caméra. C’est en ça que ce film diffère fondamentalement du précédent. On est avec elles et eux. Dans les rushes que Siboni a choisis, on voit des ouvrier.e.s du X, qui s’ennuient, qui pleurent, qui s’embrassent aussi… Attention, il y a des scènes difficiles, où on voit que le consentement de certains n’est pas respecté, qu’il y a de la manipulation, du forçage, et c’est difficile à voir. Mais il y a aussi de l’assertivité, de la tendresse, et de l’espoir.

Soirée 2 : Et la tendresse, bordel ?

Cette question, c’est celle de la réalisatrice de scènes de sexe que je suis…

Mais aussi celle de la femme de 40 ans ! Il y a quelques années, quand je me suis retrouvée célibataire et donc de nouveau sur le marché de l’amour, je me suis mise sur les applis de rencontre. Lors des premières conversations avec mes matches, revenait la sempiternelle question du : “tu cherches quoi ? Du sérieux ? …Ou pas ?” C’était soit l’un soit l’autre.

Je me suis demandé pourquoi on avait des relations hétéro si binaires. Il faut être amoureux. Ou pas. Plan cul. Ou relation sérieuse. Est-ce que ça ne serait pas un peu… pauvre ? 

Je me suis demandé pourquoi sur ces applis, les mecs qui cherchent du sexe écrivent quasi systématiquement sur leur profil : “pas de prise de tête”. Qui n’a pas envie de rapports fluides, de communication aisée ? Moi aussi, je rêve de simplicité ! Mais… je sais qu’elle a un prix. Celui de l’ouverture à l’autre, de la co-écoute, celui du courage émotionnel aussi, le courage de se rendre vulnérable. Et ça, j’ai constaté que dès qu’on s’ouvre avec une personne étiquetée plan cul / pas sérieux… on déroge à l’étiquette.

Les émotions, l’affection, le care, n’ont pas leur place quand on est là pour le sexe. Dans la façon dont on filme les scènes de sexe, idem : binarité, pauvreté.

Soit on filme de la passion, et on filme des gens qui font l’amour… Soit on filme du sexe pur, et là, pas d’émotions, pas d’affection, pas d’intimité autre que celle des parties génitales. Alors, pendant cette seconde soirée, j’ai eu envie qu’on parte à la recherche de ce mélange entre sexe technique, sexe pratiqué en soi pour soi… et émotions.

Pourquoi ? Lors de la soirée précédente, on a parlé de consentement, et de violences sexuelles, de #MeToo.

Je pense que la façon de prévenir les violences sexuelles, c’est le care. Je pense qu’en fait, l’INVERSE DE LA VIOLENCE, c’est le CARE.

Voici un passage de Manon Garcia qui me guide depuis la sortie de son livre, La conversation des sexes :

“ Il n'y a pas de raison de penser que les normes morales habituelles ne doivent pas s’appliquer entre des gens qui s'aiment ou qui ont des rapports intimes les uns avec les autres. Au contraire, la vulnérabilité que créent les sentiments amoureux et affectifs nécessite une attention morale renforcée. Nos actes ne sont pas nécessairement bons et nous ne sommes pas libérés de toute responsabilité morale au nom de l'intimité.” 

Cet été, j’ai travaillé sur les émotions intenses que l’on peut avoir après avoir beaucoup joui avec quelqu’un. J’ai travaillé sur le chagrin d’Amour. Et j’ai relu l’autrice féministe noire américaine bell hooks, qui parle dans son livre À propos d’amour du « sentiment omniprésent d’avoir le cœur brisé »… Elle écrit que :

« il est plus facile pour les féministes d’assumer la demande de pouvoir que d’amour, et elle propose qu’on « défende l’idée d’un retour à l’amour ».

Quand elle parle d’amour, elle ne parle pas d’amour romantique. Elle parle de souci de l’autre, d’acte d’aimer, d’action ! D’engagement… de care.

Lors de cette soirée, j’ai donc présenté deux films dans lequel le sexe peut être hard, cru, clinique même, mais où la poésie et la douceur, l’ÉMOTION, LA TENDRESSE surgissent !!

Photogramme de 36 yo virgin, de Skyler Braeden Fox

Le premier, 36 yo virgin, de Skyler Braeden Fox, est un court métrage.

Son réalisateur en est aussi le protagoniste : Skyler, un homme trans de 36 ans, souhaite expérimenter pour la première fois le sexe pénétratif avec un homme cis. Il voudrait vivre un rapport 'traditionnel', pénis / vagin, celui dont on nous rebat les oreilles. Mais quand le jour J arrive, les choses ne se passent pas comme prévu, car du fantasme à sa réalisation… il y a un monde d’émotions.

Photogramme de La chatte à deux têtes, de Jacques Nolot

Le second, La chatte à deux têtes, de Jacques Nolot, est un huis-clos dans un cinéma porno.

Les spectateurs vont et viennent, tous sont en quête d’’amour... Pipes furtives, coups dans les toilettes, le sexe est stoïque, dépassionné, filmé avec une grande simplicité. La caméra de Nolot le regarde comme une interaction comme une autre. La profondeur et l'émotions se logent dans les dialogues. Les épanchements. Les questionnements existentiels sur la solitude, la perte, la nouveauté, la rencontre…

Jacques Nolot m’a fait le plaisir et l’honneur de venir parler de son travail.

Jacques Nolot & moi à l’Étrange Festival, photographié.e.s par Frédéric Ambroisine

Jacques Nolot est un superbe acteur, un réalisateur émouvant, et un ex travailleur du sexe, dont la vie a été racontée dans J’embrasse pas, d’André Téchiné (il faut quand même soustraire du scénario l’histoire d’amour rapportée avec Emmanuelle Béart !)

Soirée 3 : Le sexe pour s’aimer !

« Regardez dans chaque vulve comme dans une boule de cristal ou comme dans les flammes d'une cheminée. Accueillez les visions, les réflexions, les souvenirs et les questions. Remarquez les mouvements génitaux créés par la respiration de chaque femme. La contemplation de la vulve permet de stimuler la créativité, d’accéder à une sagesse ancestrale, de dissiper la honte, d’apporter l'illumination et de susciter beaucoup de plaisir à l’ancienne. »

Ce sont les mots d’Annie Sprinkle pour parler de : ZenPussy : a meditation on eleven vulvas, réalisé par Annie Sprinkle et Joseph Kramer. Annie Sprinkle est une des femmes dont le travail me guide depuis mes débuts. Dans les années 80, elle a été travailleuse du sexe (pute et performeuse de porno), elle est aussi artiste, réalisatrice… Elle est une vétérane des Sex Wars aux États Unis, qui opposaient les femmes anti pornographie et les féministes « pro sexe », dont elle est une figure de proue. Pour elle et les pro sexes, le travail du sexe et la pornographie peuvent être des moyens de se réapproprier son corps et sa sexualité. Une vision qui reste minoritaire malheureusement, puisqu’on pratique en France un féminisme paternaliste, qui dit aux putes et aux actrices porno qu’elles ne devraient pas disposer de leur corps comme elles l’entendent au nom de principes moraux.

J’aime Annie Sprinkle parce qu’elle propose aussi une pratique quasi ésotérique de connexion à soi même… d’amour de soi. C’est ça que j’ai eu envie qu’on explore ensemble lors de cette soirée, le sexe comme pratique d’amour de soi. Pour moi le porno, en tant que performer a été un moment de réconciliation fort avec mon corps.

J’ai eu comme beaucoup de jeunes femmes des moments très conflictuels avec mon propre corps, et me voir jouir m’a aidée à l’aimer… à m’aimer.

Photogramme de Mat et les gravitantes, de Pauline Pénichout

Avançons dans notre voyage au coeur de la vulve avec un très beau court métrage qui propose de s’émerveiller devant des cols de l’utérus, et surtout devant la sororité : 

Mat et les gravitantes de Pauline Pénichout

J’ai adoré y voir tout ce qu’explorer son vagin peut apporter comme émancipation,  comme émotion collective, mais aussi comme amour pour soi-même.

Pauline Pénichout a filmé dans Mat et les Gravitantes un atelier d’autogynécologie, où elle a été à la fois participante et filmeuse… Une posture qui me touche beaucoup. Lors de notre conversation en public, elle a aussi expliqué quelque chose dans quoi je me retrouve. Elle avait envie de faire un film engagé, mais qui reste du cinéma, elle ne voulait pas que ces deux principes entrent en contradiction. C’est ce que j’appelle la peur d’avoir de gros sabots !

Yann Gonzales, Pauline Pénichout & moi à l’Étrange Festival, photographié.e.s par Frédéric Ambroisine.

Photogramme de Les Îles, de Yann Gonzalez

Après avoir accueilli Pauline Pénichout, on a continué notre voyage au pays des vulves et de l’amour avec Les Îles, un film de Yann Gonzalez qui a remporté la Queer Palme en 2017.

Là aussi le sexe se pratique avec émotion, émerveillement et de façon collective… Et la vulve se voit comme le nez au milieu de la figure ! Ce qui m’a touchée dans ce court c’est son érotisme très doux, très tendre, avec des connexions profondes… On y ressent une douceur folle, alors que le film passe d’un monstre flippant à des branleurs dans un bois ! Et point rare et marquant pour moi, ce court fait une place importante et explicite au son comme vrai médium érotique.

Photogramme de Linda / Les & Annie, d’Annie Sprinkle

On a poursuivi la soirée avec un autre film d’Annie Sprinkle : Linda / Les & Annie, un docuporn sur Les Nichols, compagne d’Annie Sprinkle devenue son compagnon.

Après sa phalloplastie, Les est en quelque sorte de nouveau puceau : Annie et lui s’apprêtent à essayer son nouveau pénis. L’amour qu’il et elle font ce jour-là se révèle infiniment émouvant, et même transcendant pour Annie.

Photogramme de Septième ciel, d’Andreas Dresen

Enfin, on a conclu cette carte blanche sur Septième ciel, d’Andreas Dresen.

Un film humble et cru qui montre des corps âgés désirants, filmés sans fausse pudeur. Le réalisme des images nous dit : il n’y a rien à cacher, parce que ce qu’il se passe est beau ! Mais... une femme qui vit son désir sera toujours rappelée à son “égoïsme”… Je ne spoile pas !!!

Dites-moi ce que vous avez pensé de ces films en commentaires !

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