Le porno éthique, c’est quoi ?

Dans le milieu du cinéma, du porno, du clip… Dans la production d’images filmées en général, ce qui compte par-dessus tout et passe avant tout, c’est LE FILM. Dans le cinéma, on présente en modèles des réalisateurs tyranniques, qui parviennent à tirer le « meilleur » de « leurs » actrices en leur faisant subir le pire... Comme si créer des images divertissantes justifiait des comportements brutaux.

Une réalisatrice ou un réalisateur, comme tout employeur digne de ce nom, doit proposer à son équipe et à ses comédien·ne·s des conditions de travail optimales – en matière de protection de soi et de l’autre, de respect, de bienveillance.

Comment faire en sorte que l’éthique soit autant dans ce que donne à voir un film, que dans sa fabrication, sur le plateau ? 

Le consentement est au cœur d’un bon porno 

Lors de la préparation du tournage d’Une dernière fois, on a décidé de créer un document — modifiable à tout moment ! — pour que les acteurs et les actrices puissent exprimer leurs désirs et leurs limites, et les communiquer très clairement à leurs co-performers, à la production, à la coordinatrice d’intimité, Lélé O, et à moi-même.

On a réfléchi à partir de documents existants : le Performer Bill of Rights rédigé par l’Adult Performer Advocacy Committee, les conseils aux acteurs et actrices de scènes intimes de Tonia Sina de l’équipe IDI et de IDI-UK, les guidelines d’Erika Lust et de Crash Pad Series.

Notre « formulaire de consentement » commence par une page qui explique cash que jouer dans un porno peut être stigmatisant...

Que les droits de « Une dernière fois » sont cédés sur trente ans, et qu’il ne sera plus en notre pouvoir de mettre le film hors ligne si un·e performer souhaite changer de carrière ou de vie.

Droits sur 30 ans ou pas, une fois qu’un film porno est sorti, le retirer de la circulation est quasiment impossible.

Même quand une production décide de mettre une scène hors ligne à la demande d’un·e performer, le film a généralement déjà été piraté quinze fois… et il est visible sur les grosses plateformes gratuites, qui vivent de ce business.

Le consentement à l’image compte aussi !

Aussi révoltant que ce soit, il est actuellement utopique de chercher à avoir le contrôle de son image dans le monde du porno. Je l’ai vécu avec mon premier film, tourné par Lucie Blush, Un beau dimanche. À l’époque, le travail de Lucie Blush était accessible uniquement sur son site, qui requiert un abonnement payant.

J’aimais l’idée qu’on paie pour accéder à ma scène, que ce soit un geste éthique et militant de la part des spectateurices.

Mais un an et quelques plus tard, le film était sur Pornhub en accès intégral et gratuit. Qui plus est, il était référencé avec les hashtags #smalltits (... allez vous faire voir) et #teen (allez vous faire soigner avec vos obsessions #barelylegal !!!).

Un.e performer que j’estime beaucoup, et qui tournait autant dans l’alternatif que dans le mainstream avant de raccrocher les gants, évoquait sur sa chaîne YouTube le problème qu’ont les performers porno à contrôler leur image :

« Je suis fatigué.e de voir mon image utilisée partout sans mon consentement. Quand vous êtes dans l’industrie du porno, vous signez des contrats qui sont en général très abusifs, et dans ces contrats vous donnez l’autorisation à la production non seulement de commercialiser votre image sous leur nom, mais aussi de la revendre à des tiers sans vous en informer, sans votre consentement, et sans vous payer davantage. [...] Ils peuvent me mettre en couverture d’un magazine polonais sans que j’aie la moindre idée de ce qu’il se passe. [...] Vous vous demandez sans doute : mais pourquoi tu signes ces contrats ? Parce qu’il n’y a pas d’autres contrats ! Cette industrie est très irrégulière, très précaire... Si vous vous plaignez, vous n’avez plus de boulot. Voilà pourquoi je répète encore et encore qu’on a besoin de conventions collectives et d’une régulation qui fasse de la pornographie – et du travail du sexe en général – un travail comme n’importe quel travail, où nous aurions les mêmes droits que n’importe quel autre travailleur ou travailleuse. »

Dans un circuit du X où les films sont revendus par les maisons de production, remarketés, renommés, on se retrouve donc à poil dans un système de valeurs diamétralement opposées à celles pour lesquelles on avait choisi de faire du porno.

Imaginez qu’une femme performe une scène de fellation pleine d’émotion qui sort sous le titre de, disons « I’m a feminist... and I still love Dick »...

Si le film est revendu par la prod à des tierces parties et se retrouve sur des plateformes où le féminisme ne fait pas franchement vendre, il pourra tout à fait être renommé « MILF gets huge cock deep down her throat until she cries ».

Ou même « I put my huge cock in a feminist throat until she cries ». De là un certain agacement...

Il faut rendre aux performers un maximum de contrôle sur leur image.

Réfléchir, échanger, écrire, modifier : communiquer efficacement le consentement

Dès la seconde page du formulaire, on propose aux performers d’indiquer les parties de leurs corps qui peuvent et ne peuvent pas être filmées.

Les performers sont invité·e·s à marquer sur des silhouettes les parties du corps qu’ils et elles refusent de montrer.

Sur l’orgie We Are The (Fucking) World, un.e performer ne souhaitait pas qu’on voie son ventre dans le film. C’est compliqué de ne pas filmer une partie du corps aussi centrale quand une personne est nue. Mais le but du jeu n’est pas d’éviter de filmer son ventre, c’est que ce ventre n’apparaisse pas dans le film final. Tout se joue alors au montage. Le formulaire de consentement est une bible à consulter de la préproduction jusqu’à la finalisation du film.

À la troisième page du formulaire, on entre dans le cœur du sujet : le consentement sexuel.

On propose aux performers d’écrire les pratiques qu’iels interdisent, mais aussi celles qu’iels trouvent bienvenues.

On a là aussi intégré au document des silhouettes pour que les performers puissent indiquer au crayon de couleur les parties du corps qu’ils et elles aiment particulièrement qu’on touche (en vert). Et les parties du corps interdites (en rouge).

Ce n’est pas parce qu’on est performer porno que notre corps est en open bar !

Pour ma part, je déteste les chatouilles. Et qu’on me touche les tibias. Pour d’autres personnes, ce sont les oreilles, le creux du nombril ou les parties génitales. Sur l’orgie We Are the (Fucking) World, une performer trans ne souhaitait pas qu’on touche son sexe, et préférait garder sa culotte pendant le tournage. Le moment où elle explique cela devant la caméra aux huit autres performers est pour moi l’un des plus beaux moments du film. Et pendant la scène de sexe à proprement parler, on voit bien que sa performance n’y perd pas un instant en beauté, en force, ni en érotisme.

Scripter le sexe comme on scripterait n’importe quelle scène de fiction 

Sur la page suivante, nous faisons un récapitulatif très clair des actes sexuels proposés dans le script. Car une scène de sexe, je ne l’écris pas en mode :  “et puis ils baisent !”.

Chaque geste de la scène de sexe doit être connecté au personnage, dire son émotion, ses attentes, son désir.

La scène, comme n’importe quelle autre scène dans un film, doit faire avancer la narration. Les positions vont dire quelque chose de ce qu’il se passe entre les protagonistes. 

Et puis écrire la scène de sexe en amont, c’est pour moi une condition sine qua non pour savoir ce à quoi on consent. Ne pas être dans un flou qui n’aurait rien d’artistique et tout de confusant.

Il y a une autre école du porno éthique qui propose plutôt de laisser les performers faire exactement ce qu’ils et elles ont envie de faire, à l’instant T du tournage, devant la caméra. L’idée est de les laisser communiquer, et créer leur scène ensemble en temps réel. Je trouve ça super, pour les performers les plus aguerri.e.s, les personnes à l’aise avec l’assertivité. Pour ma part, je crains que ça ne soit pas suffisant.

Je trouve plus safe de se mettre d’accord sur un cadre en amont.

…avec une désignation précise des actes sexuels qu’il y aurait dans la scène, puis d’insister encore et encore, avant et pendant le tournage, sur le fait que si, sur le moment, on n’a pas envie, on arrête tout, on rediscute, ou on ne rediscute même pas : juste; on arrête.

Ensuite vient un questionnaire inspiré de la check-list, en usage dans le milieu BDSM, qui permet de sécuriser les pratiques en amont – merci à Elvire Duvelle Charles de m’en avoir parlé ! La volonté d’exhaustivité de cette liste est précieuse, elle couvre l’usage d’accessoires, les fluides corporels, etc. Cela permet aux performers d’échanger sur tout ce qui n’est pas écrit dans la scène.

Des petites fessées c’est OK ? Données ? Reçues ? Les deux ?

Utiliser la salive comme lubrifiant : oui ou non ? La tienne, la sienne ? Tirer les cheveux ? etc etc…

Le consentement est réversible

Pas question de figer le consentement.

Chacun·e doit être en mesure de modifier les modalités de sa scène intime quand bon lui semble.

Si je prends l’exemple un peu simpliste d’un·e performer qui a des règles douloureuses le jour du tournage, ou qui a reçu une mauvaise nouvelle et se sent hyper angoissé.e…  il est important qu’il ou elle se sente libre d’en parler pour qu’on puisse repenser la scène ensemble. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, il peut y avoir tant de raisons de vouloir faire différemment. Ou de préférer renoncer.

Le formulaire s’achève donc sur une page qui est peut-être la plus importante de toutes. On y rappelle aux performers qu’ils ou elles peuvent nous demander à tout moment :

– de revoir leur formulaire de consentement et de le modifier ;

– de changer les actes sexuels qui ont lieu dans la scène ;

– de changer la façon dont la scène est filmée.

On souligne qu’il leur est possible d’annuler leur participation s’ils ou si elles sentent qu’il ne leur sera pas possible de performer dans des conditions qui leur conviennent.

On les paiera quoi qu’il arrive.

Je suis fière de ce travail. Car quand j’ai commencé à tourner dans le porno éthique, les négociations autour du consentement n’avaient lieu qu’à l’oral. Et bien sûr que c’est important de parler. Mais je garde en tête ma première conversation sur le consentement avec Bishop Black, chez Lucie Blush, avant de tourner Un beau dimanche. Le sujet m’avait semblé tellement vaste. Je n’y avais pas réfléchi en amont. Je n’étais pas préparée :

Qu’est-ce que j’aime, qu’est-ce que je n’aime pas, qu’est-ce que je veux faire ou pas ? Quand on ne s’est jamais posé la question évoquer ces sujets peut sembler vertigineux.

Pour ma part, je m’étais perdue dans mille détails et mon futur co-performer avait fait une drôle de tête qui semblait signifier « Ah ouais, quand même ! ». Je ne m’étais pas sentie à l’aise. Encadrer la conversation avec un document peut aider les performers à se questionner sur leurs limites et à structurer leur parole. Car même si les professionnel.le.s du sexe réfléchissent à leurs Oui et leur Non… on débute tou.te.s un jour !!

En garder une trace écrite va aussi aider nos co-performers et la prod à avoir accès à chaque détail et à tout mettre en œuvre pour proposer un espace safe. Même en toute bonne foi, on peut oublier des informations. Nos cerveaux ne sont pas des machines infaillibles ! Surtout dans l’ambiance sur-stimulante d’un tournage.

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